Vu et adoré.
Tideland commence avec cette vision d'une enfant courant dans un champ de blé,une tête de poupées barbie sur chaque index.Près du champ,des rails.Près de ces rails,une camionette noircie,renversée sur le bas-côté.L'enfant s'y engouffre,voit des lucioles et les appelle par leurs noms,la plus brillante s'appelle Titania.Dès lors,nous savons que l'enfant vit dans le monde des rêves,qu'elle parle à ses têtes de poupées et que les lucioles sont des fées.Et quand le train passe tout près d'elle et qu'il secoue la camionette,la petite fille hurle de joie.
La petite-fille,c'est Jeliza-Rose (une merveille de petite actrice,Jodelle Ferland,au jeu hallucinant).Elle vit avec son père,ancien rockeur heroinomane,fasciné par les histoires de vikings et par le Jutland,endroit rêvé,son but,où il promet d'emmener sa petite fille pour y être heureux ensemble.Si l'on sent que l'enfant a de l'affection pour son père,preparant meticuleusement sa seringue et supervisant l'opération,on ne peut pas dire la même chose de sa mère,qui decède d'ailleurs bien vite d'une overdose d'heroine.La mort ne choque pas l'enfant qui s'exclame "
on va pouvoir manger ses chocolats!".Chocolats que la mère lui refusait.
Et c'est ainsi que le père et la fille prennent leurs bagages et s'en vont à la campagne,dans la maison d'enfance du papa,maison perdue dans un champ de blé ou il n'y a que des rails de chemins de fer et une maison voisine,habitée par Dell et son frère lobotomisé,Dickens.
Tideland est un conte de fées.Un conte de fées qui utilise tous les poncifs pour les detourner.Un conte qui montre,comme souvent,l'innocence pervertie par les adultes,par le monde réel.Ainsi,Jeliza-Rose est presentée comme une petite soeur d'Alice au pays des merveilles ,oeuvre dont quelques mots ouvrent d'ailleurs le film,et qu'elle lit avec passion.Le papa pourrait être presenté comme le roi du Jutland,et la mère comme la marâtre qui ne veut que du mal à sa fille.Les parents sont inexistants,car si l'on sent quelque chose entre la fille et le père,celui-ci est bien trop occupé par ses propres rêves pour s'occuper convenablement de sa fille.Celle-ci,laissée à elle-même,ne peut que survivre par ses rêves,aussi étranges soient-ils.
Dans tout conte,il y a un ogre,ou une sorcière.Ce personnage est ici representé par Dell,la voisine,émule de Norman Bates,autrefois amoureuse du père.
Habillée de noir,une voilette et des lunettes étranges cachent son visage.Sorcière par son attirail vestimentaire,sorcière parcequ'elle a,dans sa jeunesse,mis le feu aux ruches de son père.Les abeilles,pour se venger,dit-elle,ont tué sa mère.Elles lui ont piqué la rétine,la rendant aveugle d'un oeil.Ogre parcequ'elle est capable de douceur,pour se transformer en monstre de violence l'instant d'après,ogre aussi,quand elle se ballade dans la cuisine,un couteau à la main pour decouper un lapin (reference à Alice,encore une fois);et refusant de nourrir son frère quand il n'a pas accompli son travail.
Le frère,Dickens,est un jeune homme d'environ 20 ans,lobotomisé pour stopper ses crises d'epilepsie.Habillé d'une tenue de plongeur,il nage dans les champs de blé,se proclame capitaine de sous-marins,et sait qu'un requin meurtrier se cache dans le coin.Comme il le sait,il le debusquera et le tuera.Dickens,dans ce conte,c'est le prince charmant.Et voilà la chose qui a fait sauter au plafond tous les critiques : la petite fille tombera amoureuse de ce personnage étrange,d'abord fascinée par son imagination,par le fait qu'il l'a fait rire.Elle rentre tout de suite dans son jeu de chasse au requin.Peut-être aussi,parcequ'il est le premier à la traiter d'égal à égal,c'est à dire comme une enfant,puisque lui-même en est un.L'ombre de la pedophilie plane,c'est un fait,dans ces baisers échangés ou ce grand dadais qui se couche,parcequ'il l'aime bien et qu'il joue,sur une enfant.Mais cela reste très pur.D'une part parceque la petite fille est plus mûre que le garçon,et d'autre part,parceque tout est un jeu pour elle,et c'est elle qui mène la danse.Et mentalement,ils ont le même âge.De plus,ce sont des scènes qui risquent d'être mieux comprises par les femmes que par les hommes,tout le monde sait que l'imaginaire des enfants est moins rose que l'on veut nous le faire croire,et que lorsqu'on rêve,c'est plus au grand mechant loup qu'au prince charmant.
Dans
Tideland,on parle surtout du mal adulte : ils se revèlent toujours decevants (comme Dell que l'enfant prend pour un fantôme,et qui sera attristée de voir qu'elle n'est qu'un être de chair et de sang) ou ont demissionés de leur job (les parents), versent dans la folie et l'obssession.L'obssession,chez Dell,est la taxidermie.Son problème,c'est le temps qui passe,Dell est comme un enfant qui veut que rien ne change autour d'elle,que tout soit parfait et eternel.Du coup,elle empaille les gens comme les animaux,les laissant allongés dans un lit ou assis sur une chaise,tout cela devant un enfant qui ne peut que la croire pour ne pas être plus effrayée,ou pour moins pleurer.Et parceque c'est la norme,dans ce monde.
Ce n'est plus le rêve qui attend Jeliza-Rose,mais bien la schyzophrenie : elle a quatre têtes de poupées,Satine Lips,Glitter,Mystique et Baby Blonde.Chacune represente un aspect de l'enfant,en même temps qu'elle possède les defauts inherents aux humains : celle-ci est médisante,celle-là est lâche,l'autre ne comprend rien.Même ses amis imaginaires ne sont pas d'une grande aide.Et puis,pour jouer,elle se deguise en petite femme,et sa robe blanche fait comme une robe de mariée,puisque dans son esprit,Dickens est son mari.
Tout le film est à l'image de Jeliza-Rose,Gilliam ne se permettant aucun jugement,aucune morale,même s'il veut parfois choquer : tout y est vu sous le prisme de l'enfance,par les rêves,mais des rêves contaminés par l'absurdité et le malaise qui l'entoure,et deviennent des cauchemars.Jeliza-Rose,dans le monde réel,veille sur ses parents ou Dickens,dans le monde imaginaire,sur ses poupées.Tout ce qu'elle cherche,c'est un semblant de famille,qu'on lui donne le droit d'être un enfant,quitte,paradoxalement, à être enceinte d'un baiser de Dickens.La réalisation de Gilliam peut choquer,c'est souvent frenetique,puis d'une lenteur comtemplative.Les images,magnifiques,nous montrent un ciel bleu,des blés couleur soleil (qui contrastent avec la fin noire et rouge,mais chut...).On a l'impression que l'automne est eternel,comme les citrouilles devant la maison de Dell,rappel d'Halloween et ses fantômes.
Tideland est ce que l'on peut appeler une fantaisie macabre,de celle qu'affectionnait Edward Gorey.C'est un film qui transporte,parcequ'on ne sait pas toujours ou Gilliam veut nous ammener,sauf si l'on regarde le film en comprenant parfaitement l'heroine.
Un film comme un cauchemar,étrange et très particulier,qui risque de ne pas plaire à tout le monde (peu etonnant vu le bide qu'il s'est pris au box-office),puisqu'il ne cherche pas à plaire à tout le monde,à la fois conte et film d'horreur (mais les films d'horreur ne sont-ils pas les contes de notre époque?)réalité et fantasmes se mélangent sans nous laisser un seul instant le temps de souffler.
Tideland se termine bien,et
Tideland se termine mal.En clair ,
Tideland est une petite merveille sur l'enfance,ses démons,sa cruauté,ses rêves,rêves qui permettent de survivre malgré l'horreur,même lorsqu'ils se confrontent trop brutalement à la réalité.Mais chut,encore une fois.